La rencontre de chocc

Antonella Caze

Raconte-nous ton histoire

Je suis Antonella Caze, d’Equateur. Impliquée dans le mouvement animaliste depuis près de 10 ans et aussi dans la lutte pour les droits de la nature, et en particulier en ce qui concerne la défense du parc des Yassunis, qui est un parc possédant une grande biodiversité.

 

Parle-nous de tes engagements, comment s’expriment-ils et qu’as-tu appris ) travers eux ?

Et bien, cela a été un apprentissage depuis que j’ai commencé ce chemin. L’engagement en écologie a été très concret à travers la défense du parc des Yassunis, un des plus riches en termes de biodiversité.

Une année nous avons travaillé à l’organisation de la consultation nationale pour permettre aux peuples équatoriens de décider pour eux-mêmes s’ils voulaient que leur pétrole sorte du pays. Depuis 8 ans nous travaillons ainsi au niveau des institutions nationales comme internationales.

Mais nous croyons aussi qu’il n’est pas possible de porter ces projets au niveau des institutions sans actions sur le terrain. C’est pour cette raison que nous entreprenons aussi des actions, de forme non violente.

En 2018 par exemple nous avons investi le ministère des énergies renouvelables durant 2 nuits parce que nous n'étions pas écoutés concernant nos alertes sur le danger que représente l’exploitation extractiviste pour les Yassunis et leur mode de vie.    

Et nous avons aussi vécu ce type d’action en direct, aux côtés des femmes amazones et avons obtenu que l’activité s’arrête.

Malheureusement 2 années plus tard nous avons dû investir d’autres institutions étatiques.

 

Je crois que ce que nous avons appris par-dessus tout c’est que toutes ces actions doivent reposer sur le caractère « durable » (sostenible) de la vie, ce qui signifie aussi veiller au caractère « durable » de nos propres corps.

Parfois par exemple je m’oublie dans la lutte et je ne veille pas au bien-être de mon corps, à ma santé.

Je me dis que je suis secondaire, et que la lutte est primaire. Or, pour soutenir ces différentes luttes nous devons agir de la même façon bienveillante avec nous-mêmes.

De la même manière que nous n’acceptons pas la violence envers la nature, nous ne devons accepter aucune violence contre nous-mêmes.

Nous sommes en train d’essayer de tenir cette cohérence.

 

Comme thème de l’année nous avons choisi la sagesse. Qu’est-ce que la sagesse pour toi ?

 

Oh…question difficile. Je dirai que la sagesse, peut se voir d’une manière personnelle lorsque nous parlons de quelqu’un désigné comme sage, mais je crois qu’elle se construit collectivement.

Il existe bien une sagesse personnelle, mais elle se consolide en relation avec la nature, les animaux, les autres personnes.

Pour moi cela a beaucoup à voir avec la solidarité.

Elle s’exprime de manière individuelle mais aussi à travers l’interaction avec les animaux, les humains, etc.

 

Pourrais-tu nous faire part de quelque chose qui t’a marquée dans tes expériences de vie, ton engagement militant ?

Quelque chose qui m’a marquée…

Premièrement : m’être rendue sur le lieu de vie des Yassunis parce qu’il faut du temps pour y accéder : 8 heures de bus et encore quelques heures de canoë, et que ce trajet m’a permis de connaître ce territoire de façon très concrète.

 

Autre chose : nous avons dû une fois nous rendre dans le parc des Yassunis en nous y infiltrant car le gouvernement surveillait toutes les actions se rapportant aux Yassunis. A cette occasion nous avons pu voir les carrières creusées par le gouvernement, et ce fut très douloureux de voir une chose pareille dans un lieu offrant une si grande diversité. Au  cours du trajet j'ai pu vivre un instant magique en observant des tortues prenant paisiblement le soleil. Cette image m'a marquée et émue car elle m'a permis de ressentir toute la vie présente dans cet espace.

 

La troisième chose que j’ai apprise c’est que nous devons adopter une posture : la violence que je peux infliger à mon corps lorsque je le néglige peut s’apparenter à celle que nous dénonçons au travers de notre engagement. Par exemple, j’ai été harcelée sexuellement mais je n’ai pas pris le temps de m’y arrêter car je me disais que la lutte passait avant, jusqu’à ce que mon corps n’en puisse plus et me force à prendre ce temps. Ce type de vécu nous a conduites à décider de refuser également la violence dirigée contre nous.

 

Qu’est-ce qui te plaît le plus de la terre équatorienne ou de la Terre en général ?

Je ne pourrais pas te dire qu’un lieu me plaît plus. Je crois que chaque lieu est très spécial. Chaque lieu contient ses peuples, animaux, fleuves propres qui l’habitent. Il y a des lieux merveilleux en Equateur, et dans d’autres pays du monde.

C’est la conjonction de la vie dont je suis éprise et qui me donne l’impulsion pour continuer la lutte.

C’est intéressant de découvrir ta vision qui sort d’une approche de la vie compartimentée avec des boîtes pour tout. Que souhaiterais-tu partager avec la « jeunesse » ou avec les prochaines générations ?

Peut-être justement la réflexion que tu viens de partager : cesser de hiérarchiser la vie. Je crois que c’est là l’un des problèmes les plus graves qu’a le monde. Cette hiérarchisation légitime le droit de faire violence à ce qui se situe « sous » nous : aux animaux, à la nature, "sous" les humains, aux femmes "sous" les hommes, aux autres peuples "sous" les personnes qui se pensent blanches ou sont racistes.

Cette hiérarchisation vient de ce système patriarchal, extractiviste.

Quant aux générations futures, je les inviterai à voir le monde différemment hors de tous ces conditionnements.

 

Et en ce qui concerne notre projet avec Chocultural, quel conseil ou pensée pourrais-tu partager pour nous soutenir ? Comment pourrions-nous construire cette communauté ?

Je dirais qu’il serait bon de penser cette communauté au-delà de l’humain. Car le problème des humains est ce manque d’écoute envers l’expression du vivant ; la nature, les animaux.

S’écouter est fondamental parce que le système actuel nous apprend à ne pas entendre ceux dont la parole ne « compte » pas, ou ceux qui comme la nature et les animaux ne « parlent » pas.

Or les animaux parlent, expriment des sentiments par leur façon de se mouvoir, leur regard, et la nature par ses réactions à notre action, comme la pollution.

 

Tes propos me font penser à certaines croyances présentes dans certaines régions d’Afrique sur la continuation de la vie sous des formes multiples : par exemple la croyance dans la présence continue des ancêtres y compris à travers des éléments de la nature : un animal, un arbre…

Oui, ces visions de la vie sont un héritage de nos ancêtres, dont nous nous sommes éloignés.

Un mot de la fin ?

Oh, je pense avoir tout dit…

Un grand merci pour ces questions qui nous mènent vers de belles réflexions.

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